Un orignal prend la pose

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C’était un début septembre particulièrement ensoleillé et chaud, la dernière longue fin de semaine de l’été, celle du 1er septembre. Et pour bon nombre de campeurs, la dernière sortie de l’année.

Dans le parc national de la Jacques-Cartier, le site « La Bétulaie » était rempli à pleine capacité. Plus aucun emplacement de libre. Ce qui fait que lorsque je suis arrivé le vendredi en fin de journée, n’ayant pas fait de réservation, on m’a dit que je pouvais me considérer chanceux. Un emplacement venait de se libérer quelques minutes avant que j’arrive, une femme ayant soudainement décidé de quitter.

La fin de semaine se passait à faire du hiking, de la photo, de bonnes bouffes en plein air, un feu de camp le soir venu, etc… Bref, je passais de très bons moments. Mais je ne me doutais pas que le meilleur était à venir.

Le dimanche matin, les gens avaient progressivement quitté, laissant ainsi en fin d’après-midi tout le site vide. Tout ? Non ! Car un irréductible campeur demeure encore et toujours sur place. Moi !

Alors que j’étais confortablement installé à lire « Forteresse Digitale » de Dan Brown, une bouteille de rouge contribuant de façon magistrale à ce moment de plénitude, j’ai eu la visite d’un employé du parc.

– Comptez-vous chanceux. Vous avez une permission spéciale pour rester ici ! me dit-il.

– Comment ça ? Pourquoi vous dites ça ?

– Vous avez vu autour de vous ? Y a plus personne ici, à part vous.

– Oui, Et ça change quoi ?

– Y a un orignal qui a pris l’habitude de s’aventurer sur ce site depuis quelques temps. Il est blessé, et on ne sait jamais comment va réagir un animal blessé. Alors, si vous le voyez dans les parages, soyez sur vos gardes. On ne sait jamais…

– Ok. Merci pour l’info. Je vais faire attention.

Sur ce, il remonta dans son pick-up et repartit.

À peine le temps de lire un nouveau chapitre et de me remplir un autre verre, que j’entendis un son de branches qui craquent. Le bruit semblait se rapprocher. Le temps de déposer mon livre et mon verre, je me levai et allai voir ce qui se passait.

L’orignal était là, juste à l’emplacement face au mien, en bordure du chemin. Paisible, il mangeait des feuilles d’érable à sucre.

Je suis retourné chercher mes appareils photo que j’avais déjà préparés, en espérant justement cette rencontre. Connaissant bien les règles à respecter quand on se retrouve face à une telle bête, je gardai une certaine distance, me déplaçant très lentement, m’assurant de toujours laisser un chemin de libre pour ne pas que l’orignal se sente coincé et surtout d’avoir la possibilité de pouvoir m’abriter derrière un arbre en cas de charge de l’animal.

Bien que l’on m’aie mis en garde, l’orignal était très calme. Il était conscient de ma présence, me regardant régulièrement. Je restai pendant plus d’une heure, à peine à 25 ou 30’ de lui (8 à 10 mètres), à le photographier. J’étais si près que je pouvais entendre son souffle et le son des feuilles que sa gueule arrachait des branches. Je pouvais admirer son imposante stature, voir chaque partie de son corps dans le moindre détail. Sous son pelage, je percevais ses muscles et devinais toute la force et la puissance que pouvait déployer cette créature. Devant une telle merveille de la nature, je ressentais toute une série d’émotions, un mélange de crainte, de respect, d’admiration, d’exaltation et de fébrilité. J’étais conscient de la chance que j’avais. Bien peu de gens auront la possibilité de vivre une telle expérience dans leur vie.

Puis, il est reparti comme il était venu, s’enfonçant lentement dans la forêt.

Cette nuit-là, je me couchai très tôt. J’avais un tournage à 6:00 du matin sur la rive-sud de Québec le lendemain.

Il faisait encore nuit quand je quittai le site « La Bétulaie ». Sur la route qui longeait la rivière Jacques-Cartier, la visibilité était réduite. Un brouillard que les phares réussissaient à peine à percer, combiné à l’obscurité la plus totale rendait la vallée des plus lugubre. Une ambiance digne des meilleurs films d’horreur.

Bien que roulant à vitesse très raisonnable, j’eus le sentiment que je devais ralentir. Comme une sorte de prémonition.

Je n’avais pas fait 300 mètres, que sur mon côté, je perçus dans mon champ de vision périphérique, une masse sombre qui s’approchait à vive allure. Au fur et à mesure qu’elle progressait, elle entrait dans la lumière ambiante des phares. Quand elle fut à ma hauteur, je le vis ! Tellement près que je pouvais voir son œil énorme, qui semblait m’épier, presque affolé. Mon orignal !

Probablement attiré par la lumière de mes phares, il fonçait à travers la nuit sur cette route qu’éclairait mon véhicule. Plus rapide que moi, il me dépassa et c’est alors que se produisit ce que j’appréhendais : il me coupa la route.

J’eus à peine le temps de freiner, ralentissant ainsi suffisamment pour éviter de le frapper de plein fouet. Il se retrouva poursuivant sa course devant moi, si près que j’entendis le son d’un de ses sabots cogner contre mon pare-choc avant.

C’est à ce moment que je réalisai que si je n’avais pas écouté mon instinct et réduit ma vitesse initiale, l’issue aurait pu être catastrophique.

Il continua à courir devant moi sur une centaine de mètres, jusqu’à ce qu’il perçoive une éclaircie, qu’il s’enfonce dans la forêt et disparaisse dans la nuit. Je poursuivis ma route, retrouvant lentement un taux normal d’adrénaline. Maintenant, nos chemins se séparaient définitivement, lui repartant vers la nature sauvage et moi retournant à la civilisation.

Quand j’atteignis l’autoroute, les premières lueurs crépusculaires commençaient à naître, annonciatrices d’une autre belle journée. Et pour citer Chuck Noland « Je sais ce que j’ai à faire maintenant, Je vais continuer à respirer parce que demain le soleil se lèvera et qui sait ce que la marée apportera ? »

 

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4 Responses

  1. Nadine Heppell

    C’est une histoire fascinante,….. la meilleure du genre que j’ai jamais lue…….
    et orignal…. animal royal s’il en est un !
    ton orignal!!!!!!….il a communiqué avec toi !
    C’est terrible!!! comme wowowowo
    Magnifco

  2. Josiane

    Quelle belle écriture, ton histoire se lit d’un trait et nous fait sentir chaque moment intensément. Bravo!!! Comme toujours les photos sont magnifiques.

  3. luce chrétien

    J’ai lu l’histoire avec intérêt. Et quelles belles photos…un moment de complicité et de confiance entre 2 êtres vivants différents. merci pour ce partage…

  4. Hélène

    J’ai été captivée par tes photos et ton récit. En te lisant, je vivais vraiment les moments que tu as vécus. Fascinant!!
    Ces instants doivent être très profondément imprimés en toi (dans ta mémoire visuelle et celle du ressenti).
    Merci pour ce très bon moment.

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